Jusque pendant les années 1990, la délivrance d’un prêt immobilier était conditionnée à une série d’indicateurs classiques tels que niveau de salaire, apport personnel, nature du contrat de travail, santé des souscripteurs, etc. Pour contourner ce qui représente au vu de l’administration, des freins, l’état américain va multiplier les programmes d’assurance hypothécaire via trois agences : la Federal Housing Administration, créée en 1934, la Veterans Administration et le Rural Housing Service, destinée à inciter l’accès à la propriété des populations rurales.
Fannie et Freddie retournent vers le passé
En 1977, le Community Reinvestment Act (CRA) incite les prêteurs à assouplir leurs critères d’émission, notamment vis-à-vis des ménages les plus modestes. En 1995, le CRA est encore assoupli et vise cette fois à permettre aux prêteurs d’établir les conditions qu’ils souhaitent pour les défauts de paiement. Plus tard, le pay option loan, permet carrément aux emprunteurs de choisir leurs mensualités de remboursement. Tous ces « assouplissements » du système des prêts CRA donnent lieu à des prêts hypothécaires ubuesques : « 100% de financement, pas d’évaluation des crédits passés, pas de critères de revenus, pas de justificatifs par la déclaration d’impôts » (Lequesne-Roth, 2009). C’est ainsi que des souscripteurs ayant un revenu annuel de 20 000$ ont réussis à avoir des prêts de 400 000$. Le risque pour la banque est maximal et très tangible, il s’agit des prêts dits « subprimes ».
Pour prêter aux familles à revenus modestes, le Congrès américain adopte un projet de loi pour forcer la Federal National Mortgage Association (Fannie Mae) et la Federal Home Loan Mortgage Corporation (Freddie Mac) à accorder ces prêts. En 2005, leurs objectifs [1] étaient d’attribuer 50% des logements financés à des emprunteurs à bas revenus (Low and Moderate Income Housing Goal), 20% à des emprunteurs à très bas revenus (Special Affordable Housting Goal) et 31% des logements devaient être situés dans des zones habitées par des minorités (Underserved Areas Housing Goal). En 2006, ces chiffres ont été remontés à 57%, 26% et 39%.
Ceci est sans compter les aides indirectes. En 2004, l’administration Bush étend la détaxation des profits réalisés sur la vente des logements : les premiers 250 000 dollars de bénéfice sur une vente sont exonérés d’impôts. C’est E. Spitzer, ancien gouverneur de l’état de New-York, qui avance, dans un article du 14 février 2008 ayant fait sensation, que les lobbies financiers vont même jusqu’à réactiver une loi datant de 1863, qui empêche les états de légiférer sur le caractère frauduleux des prêts [2].
L’abus des Mortgage Brokers [3] et l’amortissement négatif
Ces offres alléchantes, couplées aux techniques de ventes extrêmement agressives, souvent par téléphone, développent le segment du subprime. La clientèle de ce segment, une population fragile, mal informée, et peu au fait des pratiques financières, est amené à souscrire ces prêts par des courtiers dont la rémunération est proportionnelle au rendement de leurs opérations. Ces courtiers majorent les frais de dossier (de 1% pour un prêt prime, à 6% pour un prêt subprime), font de la vente forcée d’options inutiles, pratiquent l’amortissement négatif, prévoient des pénalités en cas de remboursement anticipé (en général six mois d’intérêts) et rajoutent parfois même des clauses de non-retour en justice.
La caractéristique principale des prêts subprimes est sans doute l’amortissement négatif ou teaser rate, qui consiste à réduire, de façon artificielle, le taux d’intérêt des prêts pendant les deux premières années, les rendant très attractif. En réalité, les intérêts non payés sont ajoutés au capital à rembourser, le rendant encore plus difficile à assumer. Ajoutons à cela que les intérêts remontent après la deuxième année, pour atteindre jusqu’à 18%. La double peine est invisible dans la phase pendant lequel le marché de l’immobilier va bien, elle se fait par contre cruellement sentir quand le marché s’effondre : le bien immobilier perd de la valeur et le taux d’intérêt grimpe. La hausse du capital à rembourser ne permet pas d’envisager la revente du bien immobilier comme une solution.
Bibliographie et Notes
[1] http://archives.hud.gov/reports/par/06par.pdf
[2] E. SPITZER, « Predatory Lenders’ Partner in Crime, How the Bush Administration Stopped the States from Stepping In to Help Consumers », The Washington Post, 14 février 2008.
[3] « Vendeur de crédit hypothécaire »
Lequesne-Roth Caroline, 2009, « Retour sur la crise des ‘subprimes’ – autopsie d’une déraison d’état », Revue internationale de droit économique, t. XXIII, 2, p. 219-242.