Bush, l’extrême droite et Aristote
Il est de bon ton, après une crise, de chercher à analyser les pourquoi et les comment, les tenants et les aboutissants, les conséquences, et surtout, les responsables. La crise des subprimes ne fait pas exception, loin sans faut, et nombre de livres, articles de revues, numéro spécial de magazines spécialisés et articles scientifiques se sont pencher sur les mécanismes de cette crise si complexe. Au niveau du grand public, on a notamment lu que le secteur immobilier américain s’était effondré, que la hausse des taux d’intérêts avait entraîné l’impossibilité aux plus pauvres de rembourser leur emprunt, que la titrisation avait ventilé le risque des subprimes à l’ensemble du marché, etc.
Tout cela, nous le verrons dans les articles à venir, est vrai, mais très peu de livres ou de travaux scientifiques remontent aux origines politiques et sociales de la crise. C’est ce que nous nous proposons de faire dans cette courte introduction, afin de ne pas réduire cette crise à des formules mathématiques utilisées à mauvais escient et à des traders accrocs aux bonus. La crise des subprimes explique toujours, en 2015, une bonne partie de la géopolitique mondiale ainsi que la situation économique de nombreux pays, y compris le notre.
Du néolibéralisme à la suppression du Glass-Steagall Act
Une étude en sciences politiques nous ferait sans aucun doute dater les origines de la crise des subprimes à la politique néolibérale du président Ronald Reagan entre 1981 et 1989. Sous l’influence de Milton Friedman qui dirige l’école de Chicago, Reagan dérégule. Politique, qui, si l’on en croit Foucault (2004) souffre d’une sérieuse défaillance : « Le problème du néolibéralisme, c’est […] de savoir comment on peut régler l’exercice global du pouvoir politique sur les principes d’une économie de marché. » Ajoutons à cela l’analyse de Barber (2007) qui fait état d’une régression culturelle de la société américaine ou « l’achat passe pour une preuve de liberté plus convaincante que le vote et où ce que chacun fait seul au centre commercial pèse bien plus lourd sur l’avenir commun que ce que nous faisons ensemble dans la vie publique. »
On s’explique mieux pourquoi Bill Clinton, alors président, annonce en 1998 que « La propriété résidentielle a toujours été le fondement du rêve américain. […] Le partenariat entre le gouvernement […] et le secteur privé […] est parvenu à rapprocher ce rêve de la réalité pour tous nos citoyens. » Dans cette logique, Bill Clinton, abroge le Glass-Steagall Act [1] le 12 novembre 1999.
L’idéologie du tous propriétaires
George W. Bush et son administration iront encore plus loin en diffusant et propageant de façon idéologique et dogmatique l’idée d’une société de propriétaires via, en 2003, le plan d’aide au logement « The American Dream Downpayment Initiative ». Cette idéologie emprunte à Aristote que la paix sociale repose sur le fait d’être propriétaire. Le philosophe grec aurait, dans son analyse de la démocratie, observé que « c’est ce qui appartient en commun au plus grand nombre qui se voit accorder le moins de soin : les hommes pensent à leur propres biens avant tout. »
Le pauvre élève de Platon ne pensait sans doute pas qu’il serait ainsi cité par une fondation de recherche d’extrême droite (le Cato Institute [2]), imprimant son idéologie au plus haut sommet du pouvoir, avec cet article par exemple « Les droits de propriété inspirent aux hommes le sens des responsabilités, les conduisent à traiter autrui dans la dignité et le respect… »
Les discours du président Bush prennent dès lors, une tonalité encore plus précise :
- « Une famille qui est propriétaire de sa maison est ainsi davantage susceptible de moderniser sa maison et prendre soin de ses alentours [3] »
- « … posséder sa maison […] permet aux familles de s’enrichir [et constitue à ce titre] le symbole de l’ascension sociale pour les classes moyennes et inférieures [4]. »
Dès lors, guidée par cette idéologie sécuritaire et ségrégationniste, l’administration Bush va œuvrer à la dérégulation du système financier pour permettre aux acteurs bancaires d’attribuer un maximum de crédits immobilier, en ciblant les populations les plus fragiles. Ce qui permet à Lequesne-Roth (2009) de conclure : « De fait, confiant le citoyen consommateur aux bons soins du marché, l’État s’est perverti. »
Et Bill Clinton, quelque onze ans plus tard, d’admettre que « J’ai fait quelques erreurs, bien qu’elles ne soient celles pour lesquelles on m’a le plus largement critiqué, [… comme] avoir signé la loi abrogeant la loi Glass-Steagall Act, la loi des années 1930 imposant [la scission des banques] dans des institutions distinctes. [5]»
Aujourd’hui, voilà ce qu’on a :

Bibliographie et Notes
[1] Le « Glass-Steagall Act », aussi connu sous le nom de « Banking Act », a été créé en 1933 par Roosevelt afin de séparer les banques commerciales des banques d’investissement. Il permettait, en réaction à la crise de 1929, de dissocier l’économie réelle du monde financier.
[2] http://www.cato.org
[3] A Home of your Own, notice explicative réalisée par la Maison Blanche consultable sur http://www.whitehouse.gov/infocus/homeownership/homeownership-policy-book-whole.pdf, traduction libre.
[4] Discours de George W. Bush, prononcé lors de la conférence « Les Minorités et la propriété » à l’Université George Washington, à Washington, octobre 2002, disponible sur http://www.whitehouse.gov/news/releases/2002/10/20021015-7.html.
[5] Bill Clinton, Back to Work, 2011
Barber Benjamin, 2007, Comment le capitalisme nous infantilise, traduit de l’anglais par L. Chelma et P. Chelma, Paris, Fayard, p. 55.
Foucault Michel, 2004, Naissance de la biopolitique : cours au Collège de France 1978-1979, Paris, Gallimard/Le Seuil, coll. « Hautes Études », 2004, pp. 136-137.
Lequesne-Roth Caroline, 2009, « Retour sur la crise des ‘subprimes’ – autopsie d’une déraison d’état », Revue internationale de droit économique, t. XXIII, 2, p. 219-242.