Histoire et hypertextualité
A travers les pensées, idées et travaux de trois hommes, nous allons démontrer que « l’esprit » web, que l’on peut qualifier de communautaire, international, interculturel, n’est pas du tout né avec la génération X, ne s’est pas du tout révélé avec la génération Y mais possède une philosophie, une logique et une conception héritée à la fois du monde de la documentation du début du siècle, de la pensée scientifique de la seconde guerre mondiale et de la contre-culture américaine des années soixantes.
La philosophie du web
En 1934, dans son traité de documentation, Paul Otlet imaginait déjà « des œuvres classiques ou de grande actualité photographiées et mises “en débit constant” dans les annexes des bibliothèques. Chacun pourrait ainsi, à volonté et de loin, obtenir la lecture désirée. » C’est bien ce que propose les médiathèques quelque soixante-dix ans plus tard.
On retrouve ici une des idées fondamentales du réseau Internet et de son usage principal, le web : rendre accessible des contenus au plus grand nombre et à distance. Pour Paul Otlet « Le Réseau, de quelque manière que ce soit, doit relier les uns aux autres, les centres producteurs, distributeurs, utilisateurs, de toute spécialisation et de tout lieu. » Déjà cette vision s’affranchissait des frontières et des cultures.
Le réseau de données, l’approche scientifique et rigoureuse
Mathématicien et physicien américain, Vannevar Bush (1890 – 1974) est un visionnaire de la circulation de l’information. Gestionnaire de la recherche scientifique pendant la seconde guerre mondiale, il participe notamment au « Manhattan Project ». Il conçoit le Memex, un appareil qui offre la possibilité à son utilisateur, de créer des liens entre deux documents, d’annoter son parcours de lecture et de conserver la trace de son cheminement. Dans son article publié en juillet 1945 dans le journal « The Atlantic », Vannevar Bush est clairement précurseur de l’ordinateur personnel : « Imaginons un appareil de l’avenir à usage individuel, une sorte de classeur et de bibliothèque personnels et mécaniques. […] Un memex, c’est un appareil dans lequel une personne stocke tous ses livres, ses archives et sa correspondance, et qui est mécanisé de façon à permettre la consultation à une vitesse énorme et avec une grande souplesse. Il s’agit d’un supplément agrandi et intime de sa mémoire. »
On retrouve aussi dans ces idées ce qui fait l’intérêt et l’attractivité des systèmes de gestion des signets aujourd’hui, tels que Pearltrees, Diigo, ou anciennement Delicious. Déjà pour Vannevar Bush, il s’agit d’une orthèse cognitive, une extension de sa mémoire.
L’hypertextualité littéraire et utopiste
Chercheur en sciences humaines et en littérature, Ted Nelson invente en 1965 le terme HyperText, pour désigner « une écriture-lecture non-linéaire donnant à l’utilisateur une liberté de mouvement ». Il est également à l’origine de l’utopiste projet de la bibliothèque universelle, le projet Xanadu, « horizon absolu de l’hypertexte ». La vision de Ted Nelson est à l’origine du mythe « d’Internet pour tous », capable de briser les chaînes, d’abolir les distances et de rendre les savoirs accessible à tous. Pour autant, au-delà du mythe, le projet Wikipédia en est un héritage concret et les phénomènes du « Printemps Arabe » de 2011 se sont largement appuyés sur les sciences de l’information et de la communication et les technologies afférentes pour appuyer des mouvements sociaux et politiques de grandes ampleurs.
Concocté à partir du mémoire de recherche « Évaluer l’information sur le web, peut-on arriver à une pertinence sociocognitive satisfaisante ?« .