Saint Augustin
Quand l’évêque d’Hippone commence à écrire ses Confessions en 397, il les bâtit sur le principe du rite chrétien de la confession, et on assiste plus à la quête d’une âme tournée vers Dieu qu’au récit de la vie d’un homme. « On a ici une autobiographie à deux voix, à travers un long dialogue avec Dieu. » (Bakhouche, 2009)
« La maison de mon âme est étroite pour vous recevoir, élargissez-la. Elle tombe en ruines, réparez-la. Çà et là elle blesse vos yeux, je l’avoue et le sais; mais qui la balayera ? A quel autre que vous crierai- je : ‘Purifiez-moi de mes secrètes souillures, Seigneur, et n’imputez pas celles d’autrui à votre serviteur ? » (Saint-Augustin, 1993)
Ces Confessions, qui n’appartiennent à aucun genre littéraire, vont pourtant canaliser le principe de l’autobiographie puisque les auteurs européens au cours des siècles suivant, vont rédiger leurs écrits en s’efforçant de se montrer sous un jour « chrétien ».
Jean-Jacques et Stéphane Rousseau
Ce sont d’autres confessions, celle de Jean-Jacques Rousseau, quelques quatorze siècles plus tard, qui bousculent le genre. Loin de la quête spirituelle de Saint Augustin, Rousseau prétend justifier ses « pêchés » en donnant à ses « aveux » des dimensions excessives. Au-delà de son désir, très chrétien finalement, d’être absous, Rousseau cherche à dresser un nouveau portrait de l’homme. Je veux montrer à mes semblables un homme dans toute la vérité de la nature ; et cet homme, ce sera moi. (Rousseau, 2009)
Depuis Rousseau, l’autobiographie cesse d’être un document pour l’historien et un enseignement pour la postérité ; elle cesse d’être un exemple édifiant, pour devenir un « ego-document » de la subjectivité individualiste moderne, lieu privilégié de l’affirmation et de l’élucidation du sentiment d’identité. (Rider, 2003)
Stéphane Rousseau, comique québécois, reprend à son compte le principe de son homonyme, en intitulant son spectacle « Les Confessions de Rousseau [1] », dont la tournée en France a commencé les 21, 22 et 23 octobre 2011 à l’Olympia ! L’artiste a composé son « one man show » autour de sa personnalité, il y parle de la mort de son père et y dévoile son intimité avec toute la distance que le rire peut lui permettre. Son spectacle est bien un ego-document, il renseigne sur le Moi de Stéphane Rousseau.
Mais quelle est la véritable portée de ce document vivant, de ce témoignage de soi, même mis en scène et répété ?
Quand les artistes s’expriment
Quand Brassens, chante sa « Supplique pour être enterré à la plage de Sète », on est bien en présence d’un ego-document délibérément rendu public. L’auteur crée un document car, selon lui, « on n’écrit pas une chanson pour être entendue, on l’écrit pour être réentendue. » (Garitte, 2011) L’ego-document est alors employé pour donner plus de force à ses propos. L’histoire prouve qu’il a bien été entendu puisque la municipalité de Sète a depuis planté un pin parasol au cimetière du Py, où Brassens est enterré.
Pris entre le désir d’authenticité et la façade sociale que l’artiste souhaite généralement conserver, tous les grands peintres se sont un jour essayés à l’ego-document qu’est l’autoportrait : Albrecht Dürer, Rembrandt, Vincent Van Gogh, et bien d’autres. L’autoportrait du peintre est une introspection offerte aux autres, pourtant ce document renseigne de façon toute relative sur le « moi » du peintre puisque c’est lui qui choisit l’image qui le représente. Quand Raphaël [2] ou Diégo Vélasquez [3] s’adonne à l’exercice, ils se servent de leur autoportrait pour bien montrer qu’ils sont des peintres officiels à la cour des rois. L’ego-document sert alors de curriculum vitae, de carte de visite, de preuve. Vincent Van Gogh écrira à son frère Théo en 1889 : « On dit – et je le crois volontiers – qu’il est difficile de se connaître soi-même, mais il n’est pas aisé non plus de se peindre soi-même. »
Bibliographie et Notes
[1] http://www.youtube.com/watch?v=ATkuXjWzdBo&feature=channel_video_title
[2] Raphaël (1483-1520) l’Ecole d’Athènes 1509-1512-1511 Fresque, Rome (Vatican) 770 x 440 cm
[3] Diego Vélasquez (1599 – 1660) : « les ménines ou la famille de Philippe IV » 1656 318 x 276 cm musée du Prado, Madrid
Bakhouche, Béatrice. 2009. La conversion de saint Augustin : modèle paradigmatique ou exemple atypique ? s.l. : Cahiers d’études du religieux. Recherches interdisciplinaires., 2009. Vol. 6, [En ligne], mis en ligne le 17 septembre 2009, consulté le 26 décembre 2011. URL : http://cerri.revues.org/520.
Rider, Jacques Le. 2003. L’autobiographie en question : Herder, juge des Confessions de Rousseau. s.l. : Revue germanique internationale, 2003. [en ligne], http://rgi.revues.org/973, consulté le 19 décembre 2011.
Rousseau, Jean-Jacques. 2009. Les Confessions. s.l. : Gallimard, 2009. p. 858. 978-2070399697.
Saint-Augustin. 1993. Les Confessions. s.l. : Flammarion, 1993. p. 380. Livre premier, Ps XVIII, 13-14. 978-2080700216.