Théorie hiérarchique de la perception
On commence par le cerveau. En 1972 d’abord, l’équipe de Gross, Rocha-Miranda & Bender, puis en 1984 avec Desimone, Albright Gross & Bruce, des travaux (*) permettent d’identifier, dans le cortex inféro-temporal, des neurones répondant sélectivement à des formes complexes (comme la vision d’une main ou d’un visage). La réponse des neurones activés par la vision d’une main diminue dès que la forme du stimulus s’en éloigne (gant, moufle, trident).
L’hypothèse du neurone de la grand-mère
L’hypothèse est donc rapidement émise que si un nombre très limité de neurones s’activent de façon sélective face a des stimuli complexes, c’est que ces cellules possèdent une information comme la reconnaissance du visage de sa grand-mère, que les autres n’ont pas. D’où l’hypothèse dite de « la cellule grand-mère », selon laquelle chaque cellule est une unité gnostique qui fonctionnerait par codage d’une information spécifique.
Vous vous posez certainement la question du nombre d’unités gnostiques qu’il vous faudrait pour reconnaître tous les objets de votre monde… je n’en ai aucune idée mais ça paraît énorme. D’autant que si vous voyez une chaise de face ou de côté, cela correspond à deux codages différents pour le même objet. Problème supplémentaire, nous perdons des neurones toutes notre vie, que se passerait-il si notre neurone de reconnaissance de chaise mourait ? Nous ne pourrions plus identifier une chaise ? Ca complique tout de suite votre visite au bureau, dans un café, au cinéma, etc.… Imaginez au cirque, vous verriez un clown tomber, tout le monde rigoler mais vous ne comprendriez pas pourquoi puisque vous n’auriez pas reconnu que son comparse avait enlevé la chaise avant qu’il ne s’assoit. Verriez-vous léviter quelqu’un en train de changer une ampoule debout sur une chaise ?
Notre cerveau est en RAID 5
Une nouvelle hypothèse, dite de codage distribué, est dès lors plébiscitée. Elle établit qu’un neurone peut entrer en activité pour des situations très différentes et que le codage d’un objet nécessiterait l’activité d’une grande quantité de neurones. Aucun neurone n’est donc spécifique au codage de l’objet chaise, ouf. Tout comme un ordinateur possédant suffisamment de disques durs pour stocker une information avec un système type RAID 5, notre cerveau « distribue » les informations nécessaires au codage d’un objet, dans suffisamment de neurones pour que la mort neuronale d’une partie de ces cellules n’empêche pas le bon fonctionnement de l’ensemble. Cette hypothèse permet également d’expliquer notre capacité à appréhender de nouveaux objets, visages, situations. En effet, dans ce cas, un nouveau groupe de neurones se crée à partir du schéma d’un groupe similaire (ou le plus identique).
Pourquoi une idée nous fait penser à une autre idée ?
Jusqu’ici, rien à voir avec la sérendipité, on y arrive. En fonctionnant de cette manière, le cerveau génère également des confusions, de fausses reconnaissances d’objets. Quand on surfe sur le web, il est presque impossible de tomber sur une page sans lien hypertexte. La sérendipité, ou effet « serendip », que l’on traduit (ou simplifie) généralement par « trouver par hasard » aurait-elle une de ses sources dans le fonctionnement de notre cerveau ?
La confusion entre un objet connu (le visage de votre grand-mère) et un nouvel objet (visage d’une femme âgée par exemple), proviendrait de l’activation, dans une grande proportion, des neurones impliqués dans la reconnaissance du visage connu. Ainsi, quand vous surfez sur une page, il y a une probabilité haute que s’activent dans votre cerveau des neurones correspondant à la thématique de cette page, mais pas seulement. Chaque cerveau étant unique et chaque page web présentant plusieurs thèmes, cela permet de penser que nos cerveau « n’allument » pas les mêmes groupes de cellules d’un individu à un autre. Chaque cerveau se met donc en situation, pour une situation donnée, à un instant donné, de favoriser ou d’inhiber un « hasard », somme toute très relatif, pour l’intérêt d’un sujet qu’il n’a pas choisit consciemment.
Notre capacité à passer du coq à l’âne, d’une idée à une autre, qui nous paraît parfois saugrenue, n’est due, selon moi, qu’a l’architectonie de notre cerveau. Nous ne maîtrisons, ni ne comprenons (puisque cette façon de voir les choses génère un débat au sein des neurosciences cognitives) la façon dont fonctionne notre cerveau et notamment la façon dont il stocke, gère, et recherche l’information. N’oublions pas que le cerveau n’est qu’une machine à traiter de l’information.
Encore de belles recherches en perspective.
(*) travaux réalisés sur des macaques.
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