Je disais dans mon mémoire de recherche en Sciences de l’Information et de la Communication que « le web est un nouvel espace où se perdre« , retour sur le pourquoi du comment et sur le comment on s’en sort.
D’un espace euclidien à un espace sémantique
Nous sommes tous devenus des producteurs de contenus et cela se mesure. Sur le web, plus de 70% des nouveaux contenus sont produits par les utilisateurs, on parle d’UGC (User Generated Content). Paradoxalement l’essentiel des internautes n’ont pas le sentiment d’être actif sur le web. Normal, la frontière entre lecture et écriture s’est diluée dans les usages. Lire sur le web n’est plus un acte passif, car lire, c’est déjà être remarqué « 203 personnes ont lu ça » et donc avoir un impact sur d’autres lecteurs potentiels. Auriez-vous lu l’article s’il était indiqué « 0 personne a lu ça » ? On ne fait plus « que » lire, on « aime ça » (bouton like de Facebook), on gazouille (twitt, re-twitt et hastag sur Twitter), on « +1 » (Google +), on « trackbacks », on « backlinks », etc.
Comme le dit le sociologue Dominique Cardon (2010) : « Il faut être attentif au fait que les internautes produisent, par leurs clics, leurs liens, leur retweet, la visibilité des informations sur internet. » Cette visibilité, délégitimé par la décontextualisation qu’elle engendre, a un réel impact sur le degré de pertinence socio-cognitive (Cosign et Ingwersen, 2000) des internautes.
Le web est donc un espace qui n’a pas de limites et cela n’est pas sans poser de problèmes aux internautes que nous sommes car nous sommes habitués à dresser nos repères dans un espace euclidien. En effet, « … l’espace de navigation n’est pas un espace physique dans lequel on s’oriente, mais un espace sémantique dans lequel on traite des contenus » (Tricot et al. 1998). Cette particularité du web comme espace à la fois documentaire, médium et méta-plate-forme de dispositifs d’accès à l’information engendre une confusion cognitive.
Si nous recherchons le sens d’un mot dans un dictionnaire, nous pouvons être tentés de regarder les autres mots de la page mais, étant dans un espace fini, les lectures « suggérées » ne sont pas nombreuses. En comparaison, sur une « page » web, dont l’espace de lecture peut varier du simple (deux cents pixels de haut sur six cents de large) au triple, nous pouvons « rebondir » à l’infini grâce aux liens hypertextes.
Cette transversalité peut facilement nous faire « sortir » de notre contexte initial de recherche, ou de lecture.
Les mutations provoquées par la lecture de document numérique, notamment la transversalité due à l’hypertexte, induisent de nouveaux comportements et ont un réel impact sur la confiance. Quand je lis une page, est-ce que je ne suis pas influencé par l’autorité du contenu de la page d’où j’arrive ?
Michel Serres nous le rappelle (Serres, 2005), nous sommes passé d’un espace fini, métrique, et donc par essence maîtrisable, à un espace infini et sémiotiquement in-maîtrisable (nous rappelons ici la notion de l’état « sauvage » du Word Wild Web).
Les nœuds d’autorité
Face à ce déluge informationnel et pour remédier au problème de spatialisation de l’information nous avons réintroduit un outil puissant s’il en est, la carte. L’Homme utilise la carte depuis des millénaires et lorsqu’il est perdu, il fait une carte. En inventant le web, nous avons inventé un nouvel espace dans lequel nous perdre et, logiquement, nous avons amélioré notre appréhension de cet univers numérique avec des techniques de visualisation de données.
Au lieu de se repérer dans une carte grâce à des repères spatiaux, ce qui ne ferait aucun sens puisque nombre de site européens sont hébergés sur des serveurs américains, les cartes positionnent les sites ou les gens les uns par rapport aux autres en se basant sur leur influence, leur notoriété, leur popularité. De repères objectifs, mesurables, quantifiables, nous avons basculés sur des repères flous, variants et discutables. Pour autant, cette nouvelle mécanique cognitive qu’est la cartographie d’information nous permets d’identifier les nœuds des réseaux qui nous environnent. Être un « nœud » névralgique d’un réseau n’est pas nouveau. Les gardiens des portes au Moyen-Âge en étaient : sans eux, impossible de pénétrer dans le réseau social de la ville.
Sur le web, la transposition fonctionne. Impossible en effet de bien référencer son site sur un sujet donné sans qu’il y ait de lien (de préférence entrant) avec un des nœuds (site, blog, forum) référent sur le sujet. On peut illustrer très concrètement les nœuds d’autorité informationnelle en analysant ses followers Twitter.
Réseaux de personnes ou réseaux sémiotique ?
Pour Dana Boyd, la transposition avec des réseaux de personnes est évidente. « Nous donnons du pouvoir aux gens quand nous leur accordons notre attention et les gens gagnent du pouvoir quand ils font le pont entre des mondes différents et déterminent quelles informations seront reversées dans les réseaux » dont ils sont l’un des nœuds (Boyd, 2009). Joël de Rosnay en son temps (1996) avait clairement expliqué ce décalage, cette mutation du pouvoir informationnel « … chacun d’entre nous à titre individuel, comme nœud de réseau, peut maintenant agir, ce qui était auparavant l’apanage des seuls puissants, des riches et des politiques. »
Cas concret : cartographie de mes followers Twitter
Au fil de l’article vous avez pu voir les captures d’écran de mon travail de cartographie de mes followers Twitter. Après un export sur Twitter, j’ai nettoyé un peu le fichier et importé le tout dans Gephi. Une fois dans Gephi, il faut passer un peu de temps sur la contextualisation des noeuds et des liens (de très bons tutoriels existent à ce sujet) puis sur la spatialisation pour avoir une illustration graphique exploitable des regroupements sémantiques et sémiotiques effectués par Twitter. Vous pouvez ensuite exploiter votre carte pour identifier les liens forts et les liens faibles.
Concocté à partir du mémoire de recherche « Évaluer l’information sur le web, peut-on arriver à une pertinence sociocognitive satisfaisante ?« .
Article passionnant, bravo !
La clôture sémiotique du monde se trouve bien difficile dans l’espace infini.
J’avais écrit l’exemple du dictionnaire, de son épaisseur mediologique : http://zeboute.wordpress.com/2011/09/23/lepaisseur-du-dictionnaire-cet-objet-desuet-du-xxeme-siecle-semiotiqu/
Concernant les cartes, un commentaire de votre part permettait de mieux comprendre les enjeux.
J’ai hâte de lire votre mémoire !
Guillaume.
Votre cartographie m’inspire. Les monde est dorénavant beaucoup plus étendu qu’avant. Son image est floue, ses frontières mouvantes, elles dérivent est s’imprègnent des informations qu’on veut bien leur attribuer.
Pour l’exemple, voici quelques toiles qui illustrent une partie de mon travail artistique :
http://www.collage-art-lemock.net/galerie-collage-derives.php
Bonne continuation
Lemock